Vous avez déjà entendu parler du revenu de base ? Un projet économique et politique d'envergure, avec pas mal de questions à la clé ... Des réponses pour y voir clair et des pistes pour réfléchir loin par ici ...
A l'heure où la France amorce des virements de bords puissants autour des questions que soulève la #LoiTravail de la camarade Myriam El Khomri, je suis parti gratter là où des alternatives à notre modèle sociétal existent. Un peu comme lorsque je vous faisais découvrir le tirage au sort comme système politique, je me suis donc tourné vers un mécanisme qui fait beaucoup parler de lui depuis quelques années : le revenu de base. Dans notre hexagone épuisé par la morosité sociale, il y a un collectif qui rassemble tous ceux qui veulent donner du temps à cet idéal : le Mouvement Français pour un Revenu de Base. MFRB, tout simplement. Interview en compagnie de quelques uns des penseurs de cette idée qui prend racine ... printemps oblige.
Comment expliquer le principe du revenu de base à ceux qui ne connaissent pas le concept ?Imaginons une société où le revenu serait déconnecté de l’emploi, où chacun(e) serait reconnu(e) parce qu’il/elle existe, où nous serions libre de choisir nos activités… Une société avec un nouveau droit humain, le revenu de base : une somme d’argent accordé à chaque personne (individuel), sans condition de ressources ni exigence de contreparties (inconditionnel), versé à tous et toutes sans distinction (universel), de la naissance à la mort, il constituerait un filet de sécurité pour chaque citoyen.
Que répondez vous à ceux qui disent que la nature humaine étant fainéante, plus personne ne voudrait s'occuper des tâches ingrates, des métiers pénibles ?Tout d’abord, peut-on mécaniser davantage ces “tâches ingrates” ? Dans un système économique où la lutte contre le chômage est le premier objectif, nous nous apercevons que nombre d’emplois sont conservés… pour conserver des emplois. Ils pourraient être remplacés par un robot (comme le cas bien connu des éboueurs qui pourraient être remplacés par des camions automatique), par des ordinateurs (une quantité astronomique de travaux réalisés par des personnes en emplois peu qualifiés pourrait être automatisée).
Si leur automatisation n’est pas possible mais que ces tâches sont nécessaires, alors il nous faudra réfléchir à une nouvelle façon de les réaliser, par exemple en les partageant davantage. Elles peuvent aussi être revalorisées financièrement. Un des intérêts du revenu de base est de poser cette question : aujourd’hui, qui effectue ces “tâches ingrates” ? Ne devrions-nous pas déjà nous poser la question de ce fonctionnement actuel ? Y a-t-il vraiment des franges de la population “dédiées” à ce type de tâches ? Que se passe-t-il quand le chômage n’est plus subit, mais choisi ? Et vous que feriez-vous avec un revenu de base ?
Dire que la nature humaine est fainéante est très négatif et ce n’est pas vrai !
Le problème des métiers pénibles est un sujet important, c’est aussi un problème de solidarité et de prise en charge dans la communauté. On peut aussi réfléchir à d’autres systèmes pour gérer ces tâches… Avec un revenu de base, l’emploi est mieux choisi par ceux qui se dirigent dans cette voie, il faut donc reconsidérer les niveaux de rémunération de ces emplois pénibles… ou mieux les partager.
Est ce qu'en permettant au plus grand nombre de réaliser ses projets on ne prend pas le risque d'engendrer une société d'entrepreneurs productivistes, peu enclins à limiter les nouvelles productions pour préserver l'environnement ?On peut imaginer des entreprises basée sur le développement durable, l’écologie, la gestion de l’énergie… La prise en compte de l’environnement est fondamentale pour l’avenir de l’humanité et de la planète en général. Un projet, quel qu’il soit, pourrait faire ressortir son empreinte carbone dans son cahier des charges afin d’aider la prise de décision à sa réalisation et/ou son amélioration. On peut aussi imaginer des projets sur d’autres plans comme la culture et les arts, la recherche scientifiques, l’éducation...ce qui n’a rien de “productiviste” !
Cette question revient à dire : le revenu de base ne va-t-il pas augmenter la production/consommation de biens matériels ? Pour certains défenseurs du revenu de base, oui, l’objectif est la relance de la consommation… et donc de la croissance. Mais pour la plupart des défenseurs du revenu de base, notamment au sein du MFRB, le revenu de base est un outil qui s’inscrit dans un changement radical de société. “Radical” dans son sens premier du terme : à la racine. Le chômage ne serait plus un “problème”, ce serait un simple indicateur du nombre “d’emplois marchants”. On ne jurerait plus pour une augmentation de la “consommation”, mais au contraire pour une baisse de la consommation “matérielle” au profit d’une augmentation des services. De nombreux militants du MFRB militent pour une réappropriation de la monnaie ; là aussi, il s’agit d’un changement de paradigme allant de pair avec un revenu de base.
A l'inverse, pensez vous que l'abolition d'une partie des inégalités pourrait engendrer une société décroissante, avec un retour à l'être plutôt que l'avoir ?Un revenu de base permettrait à chacun de faire ses choix de vie tel qu’il l’entend, en fonction de ses possibilités, de ses envies et de son expérience. Nous ne pouvons pas prédire d’ores-et-déjà ce que deviendra la société avec revenu de base. Et pour revenir à la question, serait-ce vraiment un mal d’envisager une société utilisant les ressources de manière plus réfléchie ?
Est ce que la France dispose aujourd'hui des mécanismes de financement nécessaires pour mettre en place le revenu de base ?Cette question en appelle d’autres :
Le financement pour un revenu de base passera nécessairement par plusieurs réformes préalables afin de répondre aux questions précédentes… mais dans une société aussi riche que la nôtre, la question du financement n’est pas un problème. C’est une question purement politique. Dans les années 1930, Roosevelt a augmenté l’impôt sur le revenu aux Etats-Unis à 90%. On en est loin aujourd’hui ! En France, sur la seule période de 2008 à 2010, les 10 % des ménages les plus pauvres se sont appauvris de 520 millions d’euros, tandis que les 10 % les plus riches se sont enrichis de 14 milliards (source : INSEE). A titre de comparaison, le budget annuel du rsa est de 10 milliards d’euros.
Supprimer tous les dispositifs sociaux actuels pour les remplacer par le seul revenu de base est une déclinaison libérale du projet du revenu de base ; c'est une bonne idée ?C’est une des possibilités de mise en place d’un revenu de base, mais ce n’est pas celle défendue par le MFRB - Mouvement Français pour un Revenu de Base. Nous avons une charte dans laquelle nous précisons l’importance de compléter et d’améliorer la protection sociale existante, sans remettre en cause les systèmes publics d’assurances sociales. Cette “déclinaison libérale” est très peu défendue en France !
Le mouvement présente des courants idéologiques différents ou avez-vous une ligne directrice forte ?Le MFRB est transpartisan, c’est-à-dire qu’il regroupe en son sein différentes tendances politiques. Les adhérent(e)s du MFRB ont des points de vue différents quant à l’instauration d’un revenu de base (montant, financement, échéances, etc), c’est ce qui fait notre diversité et notre richesse. Certains revenu de base (comme celui de Marc de Basquiat, par exemple), peuvent être une première étape vers un revenu de base bien plus important, plus inclusif, plus émancipateur (comme ce que propose Baptiste Mylondo, par exemple), ou se conjuguer à un nouveau type de financement (grâce à une monnaie libre, une monnaie locale citoyenne indépendante etc.).
Alors, c'est pour quand ?L’instauration d’un revenu de base peut arriver très rapidement, si un parti politique s’en empare à bras le corps ou si un mouvement massif de citoyens se fait entendre. C’est donc à nous d’agir encore plus fort pour qu’un revenu de base soit mis en place rapidement ! Pour nous rejoindre : RevenuDeBase.info
Merci à Loïc Pajot, François-Michel Drevet et Camille Lambert pour leurs réponses !