La plupart des sciences historiques et archéologiques admettent une réponse sans appel à cette question : oui. La raison de cette conclusion réside dans les moyens mêmes que possède l'Histoire pour produire des récits : le premier médium (au sens primordial) est l'écrit ; il est la seule preuve tangible de la présence, l'absence, la disparition, l'avènement de faits humains non matériels.
L'Histoire telle que nous la pratiquons dans notre vie civique demeure d'ailleurs attachées à des faits conceptuels, des influences qui résonnent surtout sur la société et son fonctionnement. Une Histoire peut-elle donc exister sans écriture ?
Pour répondre à cette problématique, il nous faut considérer, à l'heure actuelle, le rôle de l'écrit dans l'Histoire telle que nous la connaissons.
Deux principaux axes se dégagent : l'écrit en tant que retranscription, sous forme de récit, synthèse d'éléments et faits historiques d'une part, et l'écrit en tant que témoignage isolé d'un seul évènement historique.
La paléographie et l'archéologie peuvent donc s'apparenter à des vecteurs de données historiques, données assemblées, synthétisées et interprétées par l'Histoire.
Autre point de vue, celui de considérer l'Histoire de manière abstraite, non pas comme science, mais comme une conception du passé qui considérait un point de départ, éloigné dans le temps, et au terme d'une évolution « progressiste », aboutissant à un point mobile, celui que nous vivons, le présent.
Ce qui revient à formuler la question « L'écriture est-elle le point de départ de l'Histoire ? »
D'un point de vue du récit, oui. Les éléments issus des civilisations de l'oralité ou des artefacts de l'archéologie sont d'une imprécision telle qu'ils ne permettent pas de chronologie.
Ce qui manque ici, c'est précisément les valeurs spirituelles contemporaines de l'homme de l'époque que l'on étudie. Un nombre de cadavres importants dans une fosse, sans aucun texte, ne peut être considérée que comme le fruit d'une guerre mais aussi comme un rite funéraire, une catastrophe naturelle, une perturbation des stratigraphies de l'archéologie.
Autrement dit, un document seul ne permet aucune narration vérifiable. Encore est-il possible de douter de la véracité des propos transcris dans les documents historiques ...
Ajoutons que Paul Valéry considère avec une extrême réserve la notion même d'histoire, le choix par définition arbitraire des événements considérés et de ceux qui sont ignorés suffisant selon lui à définir autant d'histoires avec des sens différents que d'historiens possibles.
Une expression bien connue est que les vainqueurs écrivent l'histoire, et puisque leur intérêt est de présenter les choses comme meilleures après leur arrivée qu'avant, cela pourrait à la limite avoir été à l'origine de l'idée de progrès historique.
D'un point de vue de la réalité des étapes d'avancements humains, non.
L'écriture n'est pas le seule vecteur permettant de retracer une évolution dans l'axe du temps.
Les différentes industries de la pierre taillée, les techniques de chasse, les progrès et découvertes préhistoriques démontrent clairement une progression globale, bien que non linéaire, d'une humanité technique.
Les approches intellectuelles et spirituelles de cette époque sont absolument délicates dans le sens où on ne peut les démontrer en l'absence de toute écriture. Le préhistorien du néolithique considère ainsi le début de l'Histoire humaine à l'apparition soit : des métaux travaillés, soit : de la notion de propriété privée par le biais de l'élevage puis de l'agriculture.
Ces progrès anthropiques n'ont aucun lien avec l'écrit et constituent toutefois une véritable évolution dans l'histoire "abstraite" et 'progressiste" de l'humanité.
Autre difficulté de notre question : les concepts qu'elle met en jeu, leur lien au temps et à des notions suggestives.
Ainsi, la conception protohistorique des choses complique encore l'ensemble. La Protohistoire s'insère entre la Préhistoire et l'Histoire. C'est la période pendant laquelle une civilisation ne possède pas encore d'écriture mais apparaît déjà dans les écrits d'autres civilisations.
En Europe, les Celtes et les Germains sont ainsi considérés comme protohistoriques dès lors que les auteurs grecs et romains parlent d'eux.
Aujourd'hui, l'ethnologie se charge d'écrire pour eux les réalités de civilisations sans écritures.